Emmanuelle Bercot : « Le combat des petits contre les grands m’intéresse »
Reconnue comme réalisatrice, cette femme inspirée n’en reste pas moins une actrice habitée qui s’engage dans des films forts comme « Goliath », le nouveau thriller de Frédéric Tellier.
Clara Géliot
Comment s’est passée votre rencontre avec Frédéric Tellier ?
Emmanuelle Bercot - Alors qu’il peaufinait encore le scénario de Goliath, il m’a appelée pour me raconter, autour d’un café, qu’il écrivait un film sur le combat opposant lobbyiste, avocat et activiste dans une affaire concernant l’utilisation de pesticides par un géant de l’agrochimie. A cette époque, je m’apprêtais à réaliser De son vivant, et tout mon esprit était accaparé par mon propre long-métrage. Mais, ayant ressenti un vrai coup de cœur pour ce réalisateur, j’étais fermement décidée à le suivre dans son projet. Lui voulait déjà en confier les personnages principaux à Gilles Lellouche, à Pierre Niney et à moi, mais il me voyait alors dans la peau de l’avocate. Et comme il a ensuite interverti tous les rôles, je me suis retrouvée à incarner France, l’activiste.
De quelle manière vous êtes-vous emparée de ce personnage ?
Emmanuelle Bercot - Je me suis raccrochée à des éléments très concrets, comme le fait qu’elle exerce le métier de professeure d’EPS le jour et de manutentionnaire la nuit, qu’elle vit dans la campagne bretonne, qu’elle est très amoureuse de son époux et attentionnée pour sa petite fille. Mon idée était d’incarner l’ordinaire dans ce combat extraordinaire, car cette femme n’est ni une activiste dans l’âme ni une passionaria, mais elle a été propulsée dans la lutte par accident lorsque son mari est tombé gravement malade. A cet instant, elle n’a pas eu d’autre choix que de se battre contre ce Goliath pour qu’il cesse d’empoisonner les consommateurs avec des pesticides.
Goliath nous rappelle la Fille de Brest, que vous aviez réalisé sur l’affaire du Mediator. Plus que la cause écologique, était-ce le combat inégal qui vous intéressait cette fois encore ?
Emmanuelle Bercot - En effet, ces histoires sont emblématiques des luttes qui opposent les consommateurs à ces grandes firmes pharmaceutiques ou agroalimentaires, dont le pouvoir les a transformées en machines à broyer. Je ne
suis pas de ces acteurs qui prétendent militer depuis toujours pour la cause que défend leur film. J’ai une conscience
écologique assez basique, et je n’avais de cette histoire que la connaissance du grand public. Mais le combat des petits contre les grands m’intéresse toujours. A défaut de faire bouger les lignes, le cinéma peut favoriser une prise de conscience ou avoir valeur de soutien ou de reconnaissance des victimes qui se battent. En portant haut les voix des plus fragiles, moins tonitruantes que celles entendues à la télévision, ces films mettent en lumière leur vérité. Là est, à mon sens, leur principale vertu. Et si, en tant que cinéaste ou actrice, mes projets peuvent prendre la forme d’un engagement – ou, au moins, ouvrir les yeux des gens sur des problèmes existants –, j’ai l’impression de participer à une démarche positive.
Vous avez un fils de 21 ans. Etes-vous inquiète ou confiante pour son avenir ?
Emmanuelle Bercot- J’ai confiance. Les jeunes de sa génération ne sont pas aidés, ils ont les pieds dans la boue mais, comme beaucoup, je place mes espoirs en eux car ils ont une hauteur de vue et une conscience supérieure à la nôtre sur les problèmes du monde. C’est le principe, d’ailleurs, les nouvelles générations en savent toujours plus que les précédentes. Il n’empêche, je les plains, car ces jeunes, qui se battent déjà au quotidien pour trouver de la joie et de la légèreté dans leurs vies, ont, en plus, la lourde responsabilité de nous éviter le pire.
Qu’est-ce qui vous semble, malgré tout, important de leur transmettre ?
Emmanuelle Bercot - Mon fer de lance, c’est l’éducation. Voilà pourquoi j’ai mis toute mon énergie, mon engagement et mon exigence dans celle que j’ai donnée à mon fils. Eduquer un enfant, en tant que parent ou repré- sentant de l’Education nationale, est la plus belle des missions. Cela englobe l’instruction, mais aussi l’humanisme, la politesse, la générosité, la conscience des choses... toutes ces valeurs qui permettent de se tourner vers les autres et de se préserver de l’individualisme ou de l’intolérance.
« Les périodes où je joue sont des moments de respiration et de création. »
Pourquoi Benoît Magimel et Catherine Deneuve sont-ils vos acteurs fétiches ?
Emmanuelle Bercot - Benoît Magimel est mon acteur préféré, il m’inspire et j’aime le filmer. C’est la raison pour laquelle je lui ai écrit De son vivant. Avec Catherine Deneuve, nous avons une complicité innée, nous nous comprenons instinctivement et, en trois films, Elle s’en va, la Tête haute et De son vivant, nous avons développé une vraie confiance mutuelle. Elle et moi nous ressemblons par notre éducation, notre curiosité, un appétit de vie qui se traduit par le goût de la bonne cuisine ou des fleurs, une grande liberté permettant d’échapper au conformisme, mais nous partageons aussi une certaine mélancolie. Il faut savoir que ce sont les acteurs qui me donnent envie de réaliser des films. C’est en les dirigeant que je prends un maximum de plaisir, car j’aime les amener le plus loin possible. Et si j’ai tendance à retourner avec les mêmes comédiens et les mêmes techniciens, c’est parce que, en plus d’être fidèle, j’apprécie de travailler en famille. Les tournages étant des moments éprouvants, cela me rassure et ça donne un sens à ce que je fais.
Alterner entre vos métiers d’actrice, de scénariste et de réalisatrice est-il essentiel à votre équilibre ?
Emmanuelle Bercot - On dit que nécessité fait loi. Je ne sais si me priver de l’une ou de l’autre activité provoquerait un déséquilibre, mais je constate que les périodes où je joue sont des moments de respiration et de création, car je me sens plus libre. Le métier de réalisatrice engendre beaucoup de travail et de pression, alors qu’être au service de quelqu’un, en tant qu’actrice, m’ôte toute contrainte. Bref, ces métiers sont comme deux forces opposées, l’un étant l’art du contrôle et l’autre du lâcher-prise, mais ils se nourrissent mutuellement.
Qu’avez-vous tourné après Goliath ?
Emmanuelle Bercot - J’ai joué dans De grandes espérances, un drame de Sylvain Desclous, aux côtés de Rebecca Marder et de Benjamin Lavernhe, que j’ai retrouvé dans le film suivant de Frédéric Tellier, puisqu’il est le héros de son biopic de l’abbé Pierre. J’y incarne Lucie Coutaz, une femme inconnue du grand public, mais qui a vécu quarante ans aux côtés du prêtre et a cofondé avec lui Emmaüs. Et récemment, j’ai rejoint Denis Podalydès et Jonathan Cohen sur le plateau de Cédric Kahn pour interpréter une directrice de production dans une comédie qui retrace un tournage. Ça s’appelle Making of et ce pourrait être une version 2022 de la Nuit américaine.
Avez-vous mis de côté la mise en scène ?
Emmanuelle Bercot - Non, en ce qui concerne mes propres films, je suis en phase de réflexion. Mais après Goliath, j’ai réalisé plusieurs épisodes de la deuxième saison d’En thérapie, avec Jacques Weber. C’était un défi très intéressant car, étant habituée à embarquer producteurs, acteurs, techniciens et financiers dans mes aventures, j’ai découvert ce que c’était de sauter dans un train en marche. Or c’est un exercice que de savoir s’effacer derrière un projet plus fort que soi !
Goliath, de Frédéric Tellier. Sortie le 9 mars.
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