samedi 15 mai 2021

Le 20 sur Fance 3r

 

La tête haute : au cœur de la justice pour mineurs

Durée de lecture :3minutes
La tête haute
©Wild Bunch
   
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Par Sophie Esposito 

Dans La tête haute, Emmanuelle Bercot raconte la dérive d’un adolescent en rupture et le travail des institutions socio-éducatives et judiciaire pour favoriser sa reconstruction identitaire. Un parcours initiatique réaliste et vibrant.

Présenté à l’ouverture du Festival de Cannes en 2015 comme un film français, un film d’auteur, un film social, un film de femmes, La tête haute s’intéresse au dispositif d’aide mis en place par la société pour les jeunes exclus. Ceux qui souffrent d’une enfance difficile et basculent, inévitablement, dans la délinquance juvénile. Inévitablement ? Non. La justice des mineurs est fondée sur l’idée que rien n’est totalement joué d’avance pour un enfant et qu’avec une action éducative, il est possible d’arrêter la dégringolade. Voilà tout l’enjeu du film d’Emmanuelle Bercot, qui interroge la possibilité de reprendre en main son destin, aussi cabossé soit-il.

Les tumultes de l’adolescence

Dans la lignée de Mommy (2014), qui a reçu le Prix du Jury l’année précédente à Cannes, le récit se frotte aux tumultes de l’adolescence et explore une façon d’être au monde, entre impulsivité et violence. Mais la forme choisie par Emmanuelle Bercot est nettement moins expérimentale et lyrique que celle de Xavier Dolan. La cinéaste privilégie ici le réalisme social, plus sobre et documenté, pour raconter le parcours éducatif et affectif de Malony (Rod Paradot), depuis ses six ans, lorsque la juge (Catherine Deneuve) le retire de la garde de sa mère (Sarah Forestier), jusqu’à ses dix-huit ans. Un parcours initiatique qui, de séjours en foyer d’accueil et en centre de rééducation, est ponctué d’épisodes judiciaires et donc structuré par des rendez-vous de « recadrage » dans le bureau du juge. Cette immersion au cœur de la justice pour mineurs nous donne à voir de façon très réaliste les métiers de juge pour enfant et d’éducateurs spécialisés, qui doivent trouver, ensemble, les bonnes paroles, les bonnes actions pour orienter et aider ces mineurs en difficulté tout en maintenant le lien avec leur famille dysfonctionnelle. Un accompagnement complexe, qui bascule souvent dans le dialogue de sourds, avec un difficile équilibre à trouver entre répression et protection.

Une fiction pleine d’énergie et d’élan

À la véracité du ton aux accents documentaires, s’ajoute la puissance du jeu des acteurs, la justesse de la mise en scène et la force d’une fiction, pleine d’énergie, d’élan. Il y a certes de la tension, voire de la cruauté, dans cette représentation permanente de la crise à fleur de peau, mais la rudesse du récit est atténuée par la dimension sentimentale. Par une certaine délicatesse aussi. Le récit évite le misérabilisme et l’angélisme. Les personnages de La tête haute sont nuancés, jamais idéalisés. Impériale et vulnérable, empathique et dévouée, Catherine Deneuve représente à la fois l’autorité, la Loi, le cadre, mais aussi un modèle maternel de substitution, sensible et ferme, attentive et juste, qui contraste avec Sarah Forestier, la mère-enfant défaillante, dépressive, dépassée. Benoit Magimel apparaît comme un rééducateur volontaire, déterminé et passionné. Quand à Rod Paradot, l’enfant sauvage en mal d’amour, empli de colère sourde, est stupéfiant de réalisme et de vérité. Il crève l’écran et s’impose alors comme un espoir du cinéma français !

Un message d’espoir et de dignité

Comme l’indique son titre, La tête haute est un film engagé qui fait le choix de l’optimisme et porte un message d’espoir et de dignité. Un espoir sur le devenir de Malony « cet enfant sauvage qui a poussé comme une herbe folle », en mal d’éducation, d’amour, de cadre. L’espoir qu’il parvienne à rompre le cycle sans fin de projets et de rechutes. L’espoir qu’il accepte la main tendue par la juge pour enfant et par son éducateur, ces « héros de l’ombre » d’après les mots de la réalisatrice. L’espoir qu’il réussisse à formuler les mots qui délivrent de la violence, de la haine, de l’autodestruction. L’espoir qu’il ne reproduise pas le schéma familial mais qu’il trouve, au contraire, son propre chemin de résilience dans lequel la dignité, l’amour et la pulsion de vie triomphent sur le déterminisme social. Certes, l’équilibre est précaire mais pour Emmanuelle Bercot cette espérance est permise. Et on l’en remercie !

Sophie Esposito

La tête haute de Emmanuelle Bercot, diffusé sur France 3 le 20/05 à 21h05 (1h39).


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