Je me suis mariée le 9 juillet 1966 et ce fut un des jours les plus tristes de ma vie. J'étais déterminée à avoir pour Michel, dont j'avais pressenti l'âme, un amour fou stable et absolu. Je me mariais en quelque sorte comme je serais entrée en religion. Le mariage serait ma voie pour me rapprocher de l'Amour vivant du Christ que je tentais de canaliser un max, quotidiennement, déterminée que j'étais, depuis l'adolescence, à y parvenir à plein temps !
J'avais trouvé l'objet et le sujet de ma quête ! Cette façon d'aimer, mystique je l'avoue, n'était pas à la mode je crois. Je réalisais ce jour là combien ce serait difficile et que cet amour sacré, qui était pris pour une folle passion, serait difficilement accepté par les proches.
Anne Marie, pendant la messe, me passait les kleenex pendant que les enfants de choeur essayaient vainement de me faire sourire. J'avais 23 ans.
12 ans plus tard le mariage était en crise. Un diplomate du quai d'Orsay, Jacques de Bourbon Busset, qui avait à la fois une vocation d'amant et d'écrivain, publiait ses journaux sur l'AMOUR SANS RETOUR qu'il vivait avec son épouse Laurence et se disait sans honte aucune "chroniqueur d'un amour chronique". Ca m'allait tout à fait. Son oeuvre, que je dévorais, fut à l'époque, un incomparable soutien, si bien que je me mis à lui écrire pour l'en remercier et qu'en retour ils m'invitèrent, lui et sa femme tant aimée, à venir passer 3 jours près d'eux à Salernes, en Haute-Provence .
De là-bas, j'écrivis à ma mère cette lettre que j'ai retrouvée dans ses papiers, il y a peu de temps, qui exprime bien le projet me semble-t-il
lettre envoyée a ma mère le 31 Mars 1978
Lors de ma visite chez Jacques et Laurence de Bourbon Busset
L’accueil était aussi chaleureux que rêvé dans une maison basse en désordre et bohème. Le déjeuner était savoureux. Les mots et le vin coulaient à la bonne cadence. Les conseils étaient ceux que je sais tout au fond de moi : vigilance,
attention aux familles génératrices de drames, attention aux enfants, sangsues insatisfaites .
Ne rien laisser jamais se glisser entre « les 2 ».
N’attacher aucune importance au qu’en dira-t-on .
Ne rien abandonner de son exigence absolue .
Ne jamais espérer vivre un amour tranquille parce que la passion s’accompagne évidemment jusqu’à la mort de la peur (peur que ça ne cesse, peur que ce ne soit plus fragile qu’on le veut ). J’ai pleuré , pleuré , pleuré.
L’amour n’est pas seulement l’élan partagé ou la grâce du ciel qui vous tombe dessus mais bien plus une idée fixe à décider, à vouloir, à choisir, à cultiver, à matérialiser, à VIVRE au jour le jour envers et contre tout et tous . Un entraînement.. Une discipline. Un sport de haut vol quoi !
Une idée fixe, comme le plus sûr facteur d’éliminer l’angoisse, de transcender le temps de faire fondre les sentiments et de se dépasser soi-même jusqu’à aimer vraiment.
Jusqu’où me mènera ma propre passion? Si je ne suis que mon penchant sans me soucier de l’opinion familiale et publique? Je suis déterminée. J’ai tant de fois su , vu , que l’amour tirait de moi le meilleur, que je ne saurais passer par une autre voie et que je suis plus que décidée à aimer cet homme, ayant vu qui il est, plus que moi-même, quelques soient parfois les extravagances qui semblent lui plaire, lui qui aime mes fugues, lui qui m’aime plus quand je ne suis pas là, parce qu’il préfère me rêver que me voir. Ah la puissance des fantasmes pour la gent masculine !!!!Jusqu’à ce qu’il mûrisse assez pour savoir que l’amour n’est pas « charge » mais au contraire que la presence de l’autre est la chose la plus souhaitable qui soit quand on a fait le choix d’en être responsable . Le pseudo- « fardeau » alors devient cadeau .
Hélas pour lui, ca bouche apparemment les voies attirantes de la prétendue « liberté » …Il n’est pas le seul, je vois beaucoup de jeunes gens qui craignent qu’un serment «irreprenable» les empêchent d’expérimenter goulûment, sans se rendre compte qu’en se consacrant à un être dont ils n’auront jamais en une seule vie le temps de faire le tour, non seulement, ils ne se limiteraient pas, mais au contraire, s’ouvriraient enfin au monde.
J’ai pris très jeune cette décision de faire de l’amour humain, et conjugal en particulier, nuptial même si je puis dire, mon cheval de bataille en le considérant comme l’établi sur lequel je travaille afin de ma rapprocher du divin charpentier.
Jacques de B.B pense, du coup, que je suis bien équipée pour prendre la relève et divulguer ce que je sais là-dessus car c’est peut-être le don que Dieu a mis en moi pour le voir se développer et rejaillir .
Je t’écris de l’hôtel où Jacques va venir me chercher pour un autre déjeuner et une autre grande après midi causerie . Je vais faire provision de titres . Il faudrait que je lise d’abord tout ce qui a déjà été dit sur l'Absolu, la soif de l’homme à se parfaire. Il me conseille d’examiner les différents chemins proposés. Il m’aura fait la liste. Laurence écoute attentivement ce que nous nous disons tout en faisant du tissage, sage et passionnée elle aussi, vêtue d’un sari. La similitude de notre histoire, à elle et à moi, est étonnante et elle coupe mon récit de nombreux : "Ca ne vous rappelle rien Jacquot chéri ?" " Voyez mon Jacquot , ça existe encore sous la même forme "
D’abord , ils sont très beaux à voir , lui surtout , qui a en plus d’un clair regard et d’une barbe soignée, des mains d’une extrême élégance : aristocratiques quoi ! Et puis, ils sont si tendres l’un avec l’autre et à la fois si indépendants . Elle est une bricoleuse née, il avoue ne rien savoir faire de ses doigts , sauf tenir une plume évidemment! Si tendres que j’en pleurais, en rentrant à l’hôtel mais de joie cette fois Car mon projet, Maman, est donc réalisable …
Je suis très contente d’être venue . Je voulais leur parler surtout de leur rapport avec leurs enfants qui sont aujourd’hui leurs meilleurs amis et tous exceptionnellement heureux dans leurs 4 mariages respectifs. Ils m’ont ôté bien des doutes et bien des remords que, ci et là, on avait essayé d’implanter en moi . Beaucoup de jeunes viennent les voir et leur dire qu’ils les voudraient pour parents .
Et c’est sûr que moi aussi je t’ai imaginée assise à sa place à elle , couvée du regard par quelqu’un à qui tu aurais tout donné ( et qui t’aurait donné le bonheur de l’accepter ), ce pourquoi tu étais faite peut-être encore plus que moi, au départ . Saura-t-on jamais à quel point ton manque m’aura postée sur ce chemin ? Ca me confirme encore que c’est la seule chose à bâtir parce que, même pour les enfants, c’est la chose la plus importante, la fondation la plus solide, l’exemple le plus fondateur.
Nous nous sommes vraiment bien entendus tous les 3 et aussi bien je serais restée des semaines là. Ils veulent rencontrer Michel et les filles et comme le 10 mai il parle à Paris dans une église d’avant-garde quelconque, j’irai avec les Miens, les lui faire rencontrer, l’entendre.
Il pleut encore mais les senteurs de Provence vous montent à la tête comme un cadeau hors saison et je suis bien et dans ma tête et dans ma peau qui rajeunit au fur et à mesure que je suis plus moi-même et que je vérifie que je suis sur la voie juste pendant que mon coeur brûle et me fait assez souvent mal mais que je ne peux empêcher de se consumer . Je le veux pur : qu’il brûle toute scorie .
Allez je file à la poste avant que le beau Père Noël, messager de « l’amour sans retour » ne m’emmène auprès de son Lion, afin que t’arrive au plus vite cette lettre qui te dira toute mon affection, à quel point tu es mon amie et le souci constant que j’ai de te savoir en peine . Je t’embrasse . Anne
Jacques de Bourbon, comte de Busset1, membre de l'Académie française, élu le 4 juin 1981.Né le à Paris 7e et mort le à Paris 14e2. Laurence fille de militaire était née le 28 juillet 1909, morte le 3 juin 1984 à St Laurent du Var Elle avait épousé le 13ème comte de Busset le 18 septembre 1944 . C'est dire qu'ils avaient une vie d'avance sur moi, née en 1943. Quelques unes de ses citations qui me tiennent encore au coeur:
Le mariage est un amour fou qui dure ou il n’est rien. Et pour moi il a été TOUT.
L’amour durable, ce n’est pas l’amour qui se maintient, c’est l’amour qui grandit avec le temps. Dans une telle aventure qui a peu à voir avec l’institution conjugale, tout, chaque jour se vit comme pour la première fois. Et la dernière !
Cet amour est sans retour, inconditionnel, à toute épreuve. Il engage contre vents et marées tout le corps et tout l’esprit. Quand un mariage est illuminé par cette fidélité dynamique, il devient le lieu d’une expérience mystique à l’état sauvage. Les époux vivent dans l’absolu et l’absolu vit en eux. L’alliance de leurs deux angoisses crée un espace d’espoir. Ce n'est possible que si l'experience mystique est partagée bien sûr.
Utopie? sans doute mais c’est la plus réaliste de ces utopies que de vouloir faire durer le vertige, selon la loi secrète de l’univers qui est que les obstacles sont des moyens, que le continu se nourrit du discontinu, que l’union naîtra de la différence. Tout à fait.
L’amour le plus fou est dans le mariage car un mariage vrai ose affirmer devant Dieu et devant les hommes que vivre, c’est avant tout, aider cet autre à vivre. Et à progresser spirituellement.
Par bonheur je les ai expérimentées, sues de l'intérieur , vécues puis démontrées à mon tour.
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