Ce 25 mars l'Inde se réveillera sous les couleurs ! C'est Holi, la fête de l'amour et du nouvel an lunaire, la fête la plus exubérante de toute l'Inde, et Dieu(x) sait s'il y a des concurrentes, dans ce pays aux 1.2 milliard d'habitants, de cultures et de religions très diverses. C'est la fête des couleurs à chaque équinoxe du printemps. Une sorte de transe multicolore .
Ces jours-là, autour de l’équinoxe de printemps, en Inde, les pistolets sont chargés d’eau colorée. On se munit aussi de poudre bleue, verte ou rouge… Résultat : une explosion – pacifique – de joie, rythmée par des danses, des chants et des processions qui emportent une marée humaine dans les villes et les campagnes.
Pour célébrer Holi, on s’asperge de couleurs, on se poursuit, on s’attrape, et on rit beaucoup, jusque dans les temples, où les prêtres bénissent la foule à grands jets d’eau colorée. Cette fête, l’une des plus anciennes de l’hindouisme, fascine Philippe Bourseiller qui s’est rendu dans l’Uttar Pradesh pour y assister en 2013 et y retourne depuis chaque année, afin de préparer un livre.
A quoi correspond la fête de Holi pour les Indiens ?
Philippe Bourseiller : Elle symbolise d’abord le retour du printemps et de la fertilité. Dans l’Etat très traditionaliste de l’Uttar Pradesh, les paysans célèbrent ainsi le travail accompli pour la dernière moisson d’hiver par de grands feux de joie et font des offrandes aux dieux pour favoriser les semailles et les récoltes à veni
Mais Holi a aussi une forte dimension religieuse : ces feux font référence à l’histoire du méchant roi Hiranyakashipu qui voulut tuer son propre fils, Prahlada. Exigeant que chacun se prosterne devant lui, le despote ne supportait pas que son enfant lui préfère l’adoration de Vishnou. Le roi demanda l’aide de sa sœur, Holika, qui avait le don de ne pas craindre les flammes, pour faire périr Prahlada dans un brasier. Mais sa dévotion sauva le jeune homme, tandis que Holika fut anéantie. La fête a gardé le nom de cette tante indigne punie par les dieux
Holi fait référence à une autre légende, selon laquelle Krishna, figure centrale de l’hindouisme et réincarnation du dieu Vishnou, avait la peau bleue. Mécontent de son teint foncé, il jalousait celui de sa bien-aimée, Radha, qui avait une peau claire ravissante.
La mère de Krishna conseilla à son fils d’appliquer de la couleur sur le visage de Radha pour qu’elle se rapproche de lui. Sage inspiration puisque le couple est resté célèbre sous l’appellation d’«amants éternels». Holi est donc aussi une fête de l’amour et de la sexualité.
Dans une Inde très pudique, il n’est pas rare à cette occasion de voir des groupes de jeunes garçons provoquer gentiment les filles avec un vocabulaire et des gestes significatifs, tandis que dans le village de Dauji, dans l’ouest de l’Uttar Pradesh, la tradition veut que les femmes arrachent les chemises des hommes dans un joyeux chahut !
Pourquoi avoir choisi de suivre ces cérémonies de fête des couleurs dans des villages de l’Uttar Pradesh ?
En principe, Holi dure deux jours, la date étant fixée chaque année en fonction de la pleine lune, entre fin février et fin mars, par le panchang, le calendrier astrologique hindou qui oriente nombre d’activités humaines, de l’agriculture aux mariages en passant par les affaires ou les fêtes religieuses.
Dans la capitale, Delhi, et les grandes villes où les gens sont pourtant hyperactifs, tout s’arrête ces jours-là et les administrations ferment. Devenue très populaire dans ces centres urbains, Holi y attire beaucoup de touristes. Mais dans l’Uttar Pradesh – un Etat agricole et pauvre qui est aussi, avec 204 millions d’habitants, hindouiste à 80 %, le plus peuplé d’Inde – les festivités durent dix jours et les étrangers sont rares.
Qui sont les participants de ces festivités ? Et comment se déroulent-elles ?
Ceux que vous voyez sur les photos sont des habitants du coin ou des pèlerins qui déferlent dans la ville de Mathura, où naquit Krishna, à Vrindavan, où il passa sa jeunesse, et à Barsana, où grandit Radha. Ils appellent cette région Brajbhoomi, ce qui signifie « le pays de l’amour éternel ». L’ambiance y est euphorique, les gens chantent et dansent dans les rues, il y a des petites fanfares et des processions, des fleurs partout
Hommes et femmes, riches et pauvres, jeunes et vieux, laissent éclater leur joie dans un élan de fraternité qui réunit toutes les castes et toutes les religions. C’est l’occasion d’oublier les divisions dans un joyeux renversement des hiérarchies. Quant aux couleurs, les gens, les jeunes en particulier, les préparent plusieurs jours à l’avance. Ils font provision d’un arsenal de ballons remplis d’une poudre teintée appelée gulal, confectionnent des litres d’eau colorée, remplissent des seringues, des pistolets et des fusils à eau.
A chaque coin de rue, fleurissent des étals où des marchands ambulants vendent des pigments et des petits sachets de poudre prêts à être lancés. Le jour dit, le jeu consiste à asperger sa famille, ses amis ou quiconque croisé dans la rue, en lui souhaitant «joyeux Holi !» Il faut se méfier des toits et des fenêtres : des gamins guettent, et le promeneur distrait qui passe à leur portée change instantanément de couleur !
Comment avez-vous eu l'idée de travailler sur Holi ?
Malgré plusieurs voyages en Inde, je n’avais jamais entendu parler de cette fête jusqu’à ce que je voie une petite photo dans un magazine. J’ai été frappé par la puissance des couleurs, puis j’ai découvert que ces réjouissances annuelles étaient très populaires et célébrées par toutes les communautés hindouistes à travers le monde. En creusant le sujet, j’ai fini de me convaincre qu’il y avait là un très fort potentiel visuel à exploiter. Résultat : j’en suis à mon troisième voyage en Uttar Pradesh !
Pour un photographe, quel est le principal défi à relever au milieu de ce chaos de couleurs ?
D’abord, il faut rester détaché de la foule et ne pas se laisser emporter par l’entrain des participants pour être réactif aux scènes qui se mettent en place. Il faut aussi s’équiper de matériel léger afin de se déplacer très vite dans une foule en mouvement. Enfin, toujours garder un œil vers les terrasses, d’où peuvent tomber des cascades de liquide coloré. Par sécurité, mes appareils et objectifs sont protégés dans des sacs étanches. Enfin, l’expérience m’a appris à me munir d’un flacon de collyre pour un bon nettoyage oculaire chaque soir, car on en prend vraiment plein les yeux… au figuré mais aussi au sens propre !
Qui est Philippe Bourseiller ?
Reporter de terrain confirmé, et même « tout-terrain », ce Français s’est fait tour à tour alpiniste, spéléologue ou plongeur pour les besoins de ses reportages. Après avoir consacré une grande partie de son travail aux volcans actifs de notre planète, il a mis à profit ses talents pour les fêtes de Holi.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire