Benoît Magimel : « C’est l’amour qui compte dans une vie »
L’acteur retrouve Emmanuelle Bercot pour « De son vivant » et nous bouleverse en homme condamné par la maladie. Un grand rôle pour un interprète dont le talent n’a en rien altéré l’humilité.De son vivant, c’est d’abord l’envie de retrouver Emmanuelle Bercot ?
Benoît Magimel - Emmanuelle et moi avons une relation très forte. Elle compte énormément. C’est un grand privilège qu’un cinéaste ait le désir de vous porter si loin, de vous rendre meilleur. Quand elle m’a proposé la Tête haute, elle m’a fait confiance à un moment où c’était très important. Je traversais une période difficile. Je l’en ai d’ailleurs remerciée en recevant le César du second rôle [en 2016]. C’est le type de rencontre dont rêvent tous les comédiens. Quand on a de la chance, on a un grand rôle par décennie, et je crois que celui qu’elle m’a offert dans De son vivant en fait partie. Je ne suis d’ailleurs pas certain que j’aurais pu interpréter ce personnage
pour quelqu’un d’autre.
Benoît Magimel - Cela arrive parfois dans une carrière : les films ont une résonance personnelle très forte avec votre vie, et je crois qu’Emmanuelle l’a senti avec ce rôle. A 30 ans, on se croit immortel. A 47 ans, on commence l’état des lieux. On réalise que le temps file, on perd des gens, on est plus résilient... Le film pose des questions auxquelles nous sommes tous confrontés. Que va-t-on laisser ? Qu’ai-je accompli ? De quelle force disposons-nous face à la maladie ? Comment dire « je t’aime » et « pardon » avant qu’il ne soit trop tard ? Tellement de gens ont des regrets sur leur lit de mort. C’est un sujet assez difficile, mais Emmanuelle y apporte de la lumière, notamment grâce à la présence du Dr Sara, qui joue son propre rôle.
Etait-ce un personnage lourd à porter ?
Benoît Magimel - La préparation n’a pas été très facile pour mon entourage, déjà parce que j’ai dû perdre 20 kg à trois reprises, en raison des arrêts de tournage, mais également parce que le sujet était assez anxiogène. Je me disais : « Pourquoi ce film ? » « Va- t-il m’arriver malheur ? » Je commençais à ressentir des douleurs, j’étais terro- risé... Pour être honnête, lors de la première partie de tournage, j’étais renfermé, isolé, je ne prenais aucun plaisir, même si je restais très impliqué. Il s’est ensuite interrompu pendant huit mois à cause du Covid-19 et du problème de santé de Catherine [Deneuve]. Quand je suis revenu, j’étais en forme, et donc rassuré. Ce fut bien plus serein et joyeux.
Comment était-ce de retrouver Catherine Deneuve ?
Benoît Magimel - J’ai rencontré Catherine à 19 ans dans les Voleurs, d’André Téchiné. Je ne pense pas qu’elle en garde un souvenir fort, mais moi, j’étais évidemment très impressionné ! Quand on s’est retrouvé sur le plateau de la Tête haute, ça a marché tout de suite. Ça ne s’explique pas. Elle a été une maman de cœur.
Votre mère, la vraie, était infirmière. De son vivant a-t-il un écho particulier à ce titre ?
Benoît Magimel - Ma mère a accompagné beaucoup de patients en fin de vie, et je me souviens combien elle pouvait être affectée, parfois, en rentrant à la maison. J’ai un peu peur qu’elle voie le film, mais j’espère qu’il lui plaira, notamment parce qu’il tend à montrer qu’en médecine l’empathie et l’écoute sont essentielles. Les soi- gnants, épuisés, en sous-effectif, ont malheureusement de moins en moins la possibilité d’y consacrer du temps. Gabriel Sara, lui, se bat pour les préserver. Aujourd’hui, la bienveillance et l’altruisme sont souvent regardés avec condescendance, mais ils me semblent primordiaux. C’est l’amour qui compte dans une vie. Quand j’avais 20 ans, j’aurais sans doute été incapable de le voir, encore moins de le verbaliser.
« Je me suis toujours efforcé de ne pas trop m’accrocher à la lumière »
Avez-vous fait la paix avec vous-même ?
Benoît Magimel - Quelque chose s’est ouvert. Je sais davantage où je veux aller et ce que je veux partager, dans mon métier et dans ma vie privée. Et ce film m’a permis de creuser la question. Quand je me demande ce que j’aimerais laisser derrière moi, c’est tout simplement un joli souvenir. C’est, d’une certaine façon, ce qui permet de rester vivant.
Le cinéma peut-il avoir ce pouvoir également ?
Benoît Magimel - Faire des films intemporels est rare. En avoir un ou deux qui restent serait déjà une chance. Et si ce n’est pas le cas, j’ai des enfants : la transmission passera surtout par là.
Vieillir vous effraie-t-il ?
Benoît Magimel - Pas du tout et heureusement, car je tourne depuis l’âge de 13 ans : je me vois changer à l’écran depuis près de trente-cinq ans. A 20 ans, j’avais d’ailleurs hâte d’en avoir 40, car j’étais persuadé qu’il y avait plus de possibles pour les acteurs. J’avais la sensation qu’il y avait aussi une forme d’apaisement. Je le crois encore aujourd’hui. J’ai moins de complexes dans le travail, moins de problèmes dans la relation avec l’autre... C’est dû à l’expérience, peut-être aussi à la paternité.
Montrez-vous vos films à vos filles ?
Benoît Magimel - Non et je n’en ai pas envie. On prend déjà beaucoup de place en raison de la médiatisation, de l’entourage, car ce métier fascine... Je veux uniquement garder mon rôle de parent avec elles. Elles découvriront le reste plus tard, si elles le veulent. Ma fille aînée, qui a 21 ans, n’a quasiment rien vu et je le comprends. Moi, par exemple, j’aimerais beaucoup plus me rapprocher de mes parents aujourd’hui qu’il y a vingt ans.
Dans le film, vous êtes professeur de théâtre. Avez-vous eu des guides dans ce métier ?
Benoît Magimel - J’ai projeté une forme de figure paternelle chez pas mal de réalisateurs, notamment Marcel Bluwal à la télévision. Claude Chabrol a compté aussi, mais je n’en ai pris la mesure que lorsqu’il est parti. Il m’a appris à relativiser, ce qui n’est pas toujours évident quand on est jeune acteur. On doit aussi construire en dehors de ce métier. On souhaiterait évidemment que ça dure, mais j’ai tellement vu de comédiens malheureux que je me suis toujours efforcé de ne pas trop m’accrocher à la lumière. Je chéris certains moments précieux, comme la projection de De son vivant à Cannes, par exemple, mais je sais qu’un compliment, aussi bienvenu soit-il, n’est pas une garantie de longévité dans ce métier.
Envisagez-vous de réaliser ?
Benoît Magimel - J’en ai envie, mais je n’ai pas trouvé la bonne idée. C’est un tel sacerdoce. J’essaie aussi de m’accorder des respirations ailleurs. J’ai, par exemple, suivi une formation de tourneur sur bois il y a une dizaine d’années pour apprendre à faire autre chose de mes dix doigts.
Un mot sur Amants, où vous êtes à nouveau dirigé par Nicole Garcia ?
Benoît Magimel - Nicole, c’est une voix, un regard et un amour inconditionnel des acteurs. Un tournage avec elle, c’est un labo : on cherche. Je suis touché qu’elle soit revenue vers moi pour ce personnage, dont les actions sont guidées par la peur de voir sa femme le quitter pour un autre, Pierre Niney en l’occurrence. J’admire sa façon de filmer les hommes. Elle les aime pour ce qu’ils ont de petit et de sublime.
Nicole Garcia, Emmanuelle Bercot, Rebecca Zlotowski, Alice Winocour bientôt... Comment expliquer l’attrait des réalisatrices pour votre travail ?
Benoît Magimel - Je ne sais pas, je me sens peut-être plus aimé quand elles me dirigent. Avec le temps, je ne cherche à collaborer qu’avec des gens passionnés. Certains sont d’excellents exécutants mais ce qui m’inté- resse, ce sont les regards forts.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire