A toutes mes amies ici qui portent, presque invisible, "un point de chagrin"...
On les appelle "les bouleversées". Elles sont belles, lumineuses, vaillantes, présentes. Pourtant une part d’elles s’est mise à flotter entre deux temps, entre deux mondes, entre elle et elle.
On les reconnait à ce sourire qui est un mélange parfois de douceur et peut-être d’un "remontant" qui aide à continuer la vie. On les reconnait aussi à cette façon de garder la main sur le cœur. Une main seulement. Mais qui semble le tenir. Qui semble prendre appui aussi.
Et puis elles ont ce regard qui fixe quelque chose ou quelqu’un qui n’est pas dans le champs de vision.
Elles sont là comme si de rien n’était. Et puis, il y a fuite, il y a rumeur et l’on comprend qu’elles ont traversé une frontière de non-retour.
Les bouleversées sont des femmes très fortes. Combien il faut de force pour vivre double. Pour vivre "doublée". Car elles ont été doublées par cette part de destin qui a fait basculer la vie. Tragique parfois cette bascule et d’autres fois juste comme une lézarde mais qui est irréparable.
Les bouleversées se reconnaissent de loin. A leur démarche un peu aérienne, un peu en déséquilibre. Il y a aussi en elles comme une urgence, un état d’urgence permanent qui les fait asseoir au bord des chaises, en bordure des lieux, comme s’il fallait courir très vite. Comme si un état d’alerte permanent les habitait.
La gestuelle est toujours gracieuse. Le temps jadis, celui de la jeune fille en fleurs continue comme un halo flou, à ourler de toutes parts la silhouette.
C’est en Afrique que j’ai entendu pour la première fois ce mot "bouleversée" qui décrivait une femme :
"Tiens, voilà la bouleversée. Faites- lui place".
J’étais petite. J’avais oublié. Puis est venu ce temps où je me suis mise à les reconnaître
aussi. Ce temps où à mon tour, je sursautais, me poussais et faisais place "à la bouleversée".
Jeanne Orient © 30 juin 2016 Transmis sur FB par Maela Paul
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