jeudi 31 juillet 2025

Marcel et Guillaume

 


"Il a vraiment changé ma vie", confie Guillaume Schiffman, orfèvre de la restauration des films de Marcel Pagnol

Une rétrospective en six films est programmée au cinéma à partir du 30 juillet. L'occasion de questionner ce directeur de la photographie renommé qui supervise depuis 2015 la restauration et l'étalonnage des œuvres de l'écrivain, entrées dans l'histoire du 7e art.


Pour Guillaume Schiffman, le temps des vacances n'est pas encore venu. Il est en pleine préparation du prochain film de Martin Provost dont le tournage commencera en septembre. Ce directeur de la photographie compte une cinquantaine de films à son actif, notamment ceux de Michel Hazanavius, 0SS 117 et The Artist qui lui a valu un César en 2012. Il a aussi travaillé, entre autres, avec Joann Sfar et Emmanuelle Bercot, la mère de son fils Nemo.

Depuis  2015, à la demande du petit-fils de Marcel Pagnol, Guillaume Schiffman a supervisé la restauration d'une dizaine de films du cinéaste provençal, né à Aubagne il y a 130 ans. Il est aussi intervenu sur Le Dernier Métro de François Truffaut et Le salaire de la peur d'Henri-Georges Clouzot. Après le succès d'une première rétrospective Pagnol qui avait attiré 40 000 spectateurs en 2024, une seconde est organisée cet été, à partir du 30 juillet, avec six films en nouvelles versions restaurées Merlusse (1935, 1H12), Cigalon (1935, 1H13), Naïs (1945, 1H57), Manon des Sources (1952, 2H04), Ugolin (1952, 1H55) et Les Lettres de mon moulin (1954, 2H45).

Franceinfo Culture : Que devez-vous à Marcel Pagnol ?
Guillaume Schiffman : Le goût de la littérature. Enfant, je ne lisais absolument pas alors que ma mère [Suzanne Schiffman, assistante et scénariste de François Truffaut] était une grande lectrice. Elle était désespérée. On avait une maison dans le sud de la France où je passais mon temps à jouer dans les collines. Un jour, je devais avoir 13 ans, mon père est allé à la chasse alors qu'il détestait ça, pour faire plaisir à des amies chasseuses. Il les a accompagnées avec son chien et au retour, il était trop fier d'avoir ramené deux grives ! Ma mère m'a dit : "Tu devrais lire La gloire de mon père, ça va te faire rire." Il y avait tellement de similitudes avec ce que je vivais que je me suis mis à lire. En un été, j'ai dévoré tout Marcel Pagnol ! Je lui dois aussi la rencontre avec mon meilleur ami sur le tournage de La Gloire de mon père et Le Château de ma mère d'Yves Robert en tant qu'assistant opérateur.

Après avoir découvert ses livres, avez-vous eu envie de voir ses films ?
Quand je suis rentré à Paris, j'ai voulu voir tous les films. Le premier, c'était "Le Schpountz" avec Fernandel.

Vous vous souvenez de ce que vous avez ressenti ?
En dehors du rire, les films de Marcel Pagnol me touchent profondément et je ne sais pas pourquoi. Il y a certaines phrases qui me font pleurer à chaque fois. Elles résonnent en moi, peut-être parce que j'ai deux fils. Je ne suis pourtant pas émotif mais lui, il me gaule à chaque fois. J'écris la dernière phrase du Château de ma mère sur tous mes carnets. Elle est tellement belle : "Telle est la vie des hommes. Quelques joies, très vite effacées par d'inoubliables chagrins. Il n'est pas nécessaire de le dire aux enfants".

Comment avez-vous rencontré Nicolas Pagnol, son petit-fils ? Et pourquoi s’est-il adressé à vous ?
Quand il y a eu la rétrospective consacrée à François Truffaut à la Cinémathèque française [en 2014], Laura Truffaut m’a demandé si je pouvais m'occuper de la restauration du film de son père, Le Dernier métro. Je sortais de The Artist [film en noir et blanc dont il a signé la lumière] et bien sûr que j'ai accepté ! Mon travail a été apprécié et Nicolas Pagnol m'a alors proposé de restaurer les films de son grand-père. J'ai ressenti une fierté immense et n'ai posé qu'une condition : voir le bureau de Marcel Pagnol.

Quels sont les premiers films adaptés de l’œuvre de Pagnol sur lesquels vous avez travaillé ?
La fameuse trilogie marseillaise(Nouvelle fenêtre) avec dans l'ordre, MariusFanny et César.

Trois œuvres fondatrices pour le cinéma français. Aviez-vous le trac ?
J'ai pris cela comme un honneur absolu. Comme pour Le Dernier métro, j'ai commencé par faire des recherches dans des livres et sur internet pour recueillir un maximum d'informations. Je trouve parfois des interviews d'opérateurs. Pour Marius, j'ai réalisé ce que j'étais en train de faire quand je suis arrivé à la fameuse scène de "La partie de cartes". Ça m'a foutu un trac ! C'était le Graal. J'ai demandé à Jérôme Bigueur, mon étalonneur, de couper le son pour réussir à me concentrer.

Quel est le matériel de base ?
Cela dépend des films. Pour Marius [réalisé par Alexander Korda en 1931], on avait des tirages positifs anciens(Nouvelle fenêtre). On cherche des éléments un peu partout dans le monde, dans les cinémathèques, et on choisit ceux qui ont le mieux résisté au temps. Je regarde et je dis au laboratoire qu'il vaut mieux partir de cette bobine-là parce que l'autre est trop abîmée et qu'on raccordera mieux avec la suivante. Tous ces éléments sont ensuite montés et scannés en très haute résolution et on travaille sur ce fichier numérique. Je réétalonne le film en corrigeant parfois l'image. Sur Le Salaire de la peur de Clouzot(Nouvelle fenêtre), j'ai mis un point de jaune et un point de rouge car l'histoire se déroule en Amérique du Sud et je trouvais que cela ajoutait un peu de chaleur pour se rapprocher de l'image qu'on avait à l'époque avec les projecteurs à arc. Le public ne verra rien, cela reste un film en noir et blanc. Je suis le seul à le savoir... Comment rendre l'âme originelle du film alors que le regard a changé et les moyens de le regarder aussi... c'est ce que j'essaie de faire.

 Rendre l'âme originelle du film, c'est votre credo ?
Exactement mais cela ne veut pas dire ne rien toucher. J'ai la chance de ne restaurer que des films qui me plaisent donc je n'ai pas envie de les trahir du tout. Ce n'est pas mon métier, la restauration. Je le fais parce que cela me fait plaisir et parce que la demande vient de Nicolas Pagnol. On travaille avec le laboratoire Hiventy qui a changé de nom, TransPerfect aujourd'hui.

Les technologies ont-elles beaucoup évolué ces dix dernières années ?
Un peu, notamment au niveau de l'étalonnage [harmonisation des couleurs et de la luminosité sur l'ensemble du film] mais ce qui a surtout changé, c'est la vitesse. On fait les mêmes choses mais beaucoup plus rapidement. Avant, il me fallait dix jours pour étalonner, maintenant, je le fais en 4 ou 5 jours. Encore moins pour Merlusse qui est très court [1H12]. J'ai mis du temps à l'aimer, celui-là. La première fois que je l'ai vu, j'ai détesté mais à force de le revoir, je le trouve incroyable. La fausse innocence de Marcel Pagnol est pleine de sentiments qui manquent énormément aux gens aujourd'hui. C'est ce que l'on retrouve dans tous ses films.

Est-ce que Nicolas Pagnol vous donne des consignes ou vous fixe certaines limites ?
Absolument pas. On a une totale confiance l'un en l'autre. Maintenant, il ne vient voir que l'objet final. Au début, sur Marius, il passait de temps en temps. Il a vu que je ne refaisais pas l'image. Je l'améliore pour la vision de maintenant, par rapport aux nouveaux outils. Je ne m'occupe que de l'image et pas du son, qui est fait après.

Est-ce une mission de sauvetage des films ?
Peut-être pas mais j'ai l'impression que c'est un devoir de transmission. N'oublions pas que c'est Marcel Pagnol qui a inspiré le néoréalisme italien. En voyant ses films, certains se sont dit on va aller dans la rue filmer les vieux ports et tout ça. On peut aussi parler de la Nouvelle Vague. Pagnol est quand même le premier à avoir sorti sa caméra dans les rues. Il y a un devoir de mémoire obligatoire car c'est un pan de la culture important. Ce n'est pas envisageable qu'il n'y ait pas moyen de revoir Pagnol.

Vous avez noté une évolution dans sa façon de faire les films ?
Oui. Plus ça va, plus il y a une recherche de la pureté et de la simplicité. Il est aussi de plus en plus investi sur le cadre et la qualité des plans qui, me semble-t-il, ne l'intéressaitent pas plus que cela au départ. Il a en même temps une grande liberté. Par exemple pour Merlusse, il n'a que deux semaines pour tourner dans un pensionnat. Il sait que le maquillage n'est pas parfait mais que l'histoire passera avant tout. Et ça, c'est la Nouvelle Vague. Merlusse est tourné en peu de temps, avec des acteurs non professionnels pour la plupart.

Quel est votre acteur "pagnolesque" préféré ?
Moi j'ai une passion pour Raimu. Charpin et Raimu sont mes deux préférés(Nouvelle fenêtre). Raimu, c'est comme Michel Simon pour moi ou Gérard Depardieu à une certaine époque, même s'il ne faut plus le dire. Ce sont des acteurs plus grands que ce qu'ils fabriquent. Ils ont toujours une espèce de grandiloquence et pourtant, dans ce trop, ils gardent une émotion d'une pureté absolue.

Et quel est votre film préféré dans cette rétrospective, partie 2 ?
Manon des sources. Il est très beau, très fort et très bien cadré.

Marcel Pagnol est-il suffisamment reconnu comme un pionnier du cinéma ?
Pour moi non parce qu'il a vraiment changé ma vie. Maintenant je lis énormément et ça a changé ma vie. Aux gens qui ne lisent pas, je dis : il vous reste un pas à franchir pour changer votre vie, vous laisser faire par les histoires que l'on vous raconte et laisser travailler votre imaginaire. Et pour cela, la qualité des livres de Pagnol, celle de son théâtre et celle de son cinéma sont folles.

Photo extraite de la version restaurée du film "Manon des Sources" de Marcel Pagnol, avec son épouse Jacqueline dans le rôle titre.

Rétrospective Marcel Pagnol- Partie 2(Nouvelle fenêtre), en 6 films, au cinéma à partir du 30 juillet, distribution Carlotta Films. 

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