jeudi 5 novembre 2020

 A la question du journaliste Patrice Van Eersel :

"Qu'est-ce que la vie intérieure pour Christian Bobin ?"

L'écrivain répond :
" Je serais tenté de dire qu'il n'y a pas de vie intérieure, que cela n'existe pas. La vie n 'est ni extérieure ni intérieure, elle est.
Mais le paradoxe est trop facile. Je vais donc m'appuyer, pour commencer à répondre, sur quelque chose dont j'ai été témoin avant même qu'elle ne m'arrive. C'est la chose la plus solide du monde. C'est un roc. C'est le visage de mon père. Je le considère comme mon premier maître. Il est d'origine ouvrière. Vers la fin de son âge, je le vois souvent se mettre devant la baie vitrée de sa maison et regarder l'usine du Creusot qui serpente au loin. Et puis, au premier plan, des feuillages d'acacia. Il fume une cigarette. Il se tait. Il me confiera plus tard qu'à ce moment-là, il est émerveillé par l'arrachement des fleurs d'acacia. Le vent les maltraite, les appelle à vivre une vie plus aventureuse. Les petites fleurs blanches partent en neige sous les yeux de mon père.
Et quand je vois son visage, j'y trouve le reflet du réel, la neige très discrète de l'acacia, la lenteur profonde qui pénètre dans son esprit. Pour moi, c'est l'image première de toute vie intérieure : muette. On ne parle pas ou très peu. Les activités obligées se sont éloignées. La morale même et le devoir se sont écartés. Il y a une longue respiration et quelque chose entre soi et le dehors - ce jour-là, entre mon père et le martyre joyeux de l'acacia."
Christian Bobin, extrait du livre, A la recherche de la vie intérieure
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