jeudi 6 novembre 2025

La distance

J'ai du temps ici pour ne pas penser : ça rend les idées claires 

Il y a longtemps, une quarantaine  d'années, lorsque j'ai dû admettre, vers mes 40 ans, que je serais, à cause de séquelles de polio, de plus en plus certainement  handicapée, j'ai vu clairement que je n'étais pas uniquement mon corps physique. Je me le répétais souvent : " Tu n'es pas  que ton corps. Ton mental te permet de t'en détacher. J'en faisais un jeu . Je me regardais boîter  et stepper de l'extérieur, avec toute l'affection que je porte à cette meilleure amie que je suis pour moi-même . Je compatissais certes, mais elle n'allait pas entraver le reste de mon être  avec sa jambe. Je pouvais penser, je pouvais aimer, je pouvais jouir de mes sens , alors pas de cirque 



Puis j'ai vu assez vite , vers 50 ans , que je n'allais pas être mon  corps mental non plus, parce qu'il était évident que toutes les frustrations, illusions, frictions, projections, élucubrations, divagations , je me les étais créées moi-même, que les souffrances, les crises de jalousie, les peurs  récurrentes, les blessures d'abandon, les inquiétudes, je me les étais infligées . Ce n’était que ma manière de voir qui les faisait naître et prospérer  autant que je me laissais faire . C'était du chagrin aussi bien inventé. Du délire; une aliénation. J'allais me sur-veiller,  poster une sentinelle près de chaque pensée. Et faire cesser ce carnaval  aussi épuisant que divertissant.

Entre les deux, je m'étais aperçue que je ne serais pas longtemps non plus mon corps émotionnel . Parce que je valais mieux que lui et son tas d'émotions capricieuses. Il était lui-même handicapé : trop d'idéalisme, trop de dévotion. J'allais le mettre en maison de rééducation, vite fait, et de l'extérieur, rabotter ci et polir ça .  J'allais aspirer plus, aimer plus, en faire un lac limpide, cesser d'être une feuille que les vents chaffustent,  sortir du conflit, installer l'âme aux commandes, mettre fin à cette comédie. Et démonter ce chapiteau. 

Et c'est ainsi que j'ai fini par créer la bonne distance entre Moi et moi , et que la joie a pu faire sa triomphale entrée par la grande porte, celle du cœur ouvert, vérifiant que je m'en étais bien sortie, que  tout était assez rangé pour qu'elle puisse s'installer en paix. Tout devient simple avec le temps. Tenez bon . Vous verrez que, comme moi, vous finirez par avoir la bonne distance , par quasiment ne plus penser,  par ne plus réagir, par ne plus "vouloir quoi que ce soit pour le soi séparé ", par aimer abondamment dans la plus grande innocuité, par arrêter tout cinéma et par trouver que, ma foi, en effet, il suffit d'Être, l'esprit tranquille !.


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