Rencontre avec le chef opérateur Guillaume Schiffman autour de la restauration des films de Marcel Pagnol
Le directeur de la photo oscarisé de The Artist revient sur son travail de restauration sur les films de Marcel Pagnol, qui retrouvent cet été le chemin des salles
Quel était votre rapport, plus jeune, avec l’œuvre de Marcel Pagnol ?
Guillaume Schiffman : Entre Pagnol et moi, c’est une très longue histoire ! Il se trouve que jusqu’à mes 14 ans, au grand désespoir de ma mère qui dévorait un livre par jour, je ne lisais pas. Or nous passions nos vacances dans le sud de la France, sur les coteaux de Vaison-la-Romaine. Un jour, mon père, un vieil anarchiste américain qui détestait la chasse, est parti chasser avec deux amis de ma mère et a ramené deux grives. Et c’est peu après que ma mère m’a suggéré de lire La Gloire de mon père en m’assurant que ça allait me faire rire, en raison de la situation qu’on venait de vivre. Résultat ? Non seulement, je l’ai dévoré, mais, cet été-là, j’ai lu tous les romans et toutes les pièces de Pagnol. C’est lui qui m’a donné le goût de la lecture.
Et quand avez-vous découvert ses films ?
Un peu plus tard. Dès qu’ils passaient au ciné-club, car on ne pouvait pas les voir autrement. Et cela n’a fait que conforter ma passion pour Pagnol. Mais j’ai toujours décliné les propositions de faire un film comme premier assistant-opérateur, car je ne m’en sentais pas capable. Et puis un jour, le directeur de la photo Robert Alazraki m’appelle pour me demander si je souhaitais travailler avec lui sur La Gloire de mon père et Le Château de ma mère d’Yves Robert ! J’ai accepté et ce sont les deux seuls films de toute ma carrière que j’ai faits à ce poste. À l’époque, on filmait les repérages. En arrivant au pied des collines, comme je connaissais par cœur l’œuvre de Pagnol, je savais précisément où se trouvait chaque lieu de l’action. Le tournage a été merveilleux car je m’entendais bien avec Yves Robert, sensible à mon amour de Pagnol.
Comment vous retrouvez-vous à restaurer ses films ?
Tout démarre avec l’exposition consacrée à François Truffaut à la Cinémathèque française. Ses filles m’ont demandé si je voulais bien superviser la restauration du Dernier Métro qui devait être projeté pour l’ouverture. J’ai évidemment accepté et visiblement le résultat a plu. Aussi, quand Nicolas, le petit-fils de Marcel Pagnol, a cherché quelqu’un pour restaurer les films de son grand-père, Benjamin Alimi, du laboratoire Hiventy Classics, a glissé mon nom, en ajoutant que je connaissais bien le noir et blanc, ayant signé la lumière de The Artist. C’est ainsi que tout a commencé. Je n’ai posé qu’une condition : visiter les bureaux de Marcel Pagnol dans la maison de l’avenue Foch qui appartenait encore à la famille. J’ai pu aller dans son bureau, dans sa salle de montage et feuilleter certains de ses brouillons écrits à la main. J’ai même eu la chance d’y croiser Jacqueline Pagnol !
Combien de ses films avez-vous restaurés à ce jour ? Une bonne dizaine.
Concrètement, comment se passe la restauration ?
Le laboratoire commence par choisir les éléments les plus propres, ceux qui ont le mieux résisté au temps. Ils viennent du monde entier. J’ai eu la chance de les voir projetés. Puis ces éléments sont montés en ajoutant de la reconstruction d’image pour tout ce qui est trop abîmé. J’effectue alors une première vérification pour voir s’il est possible d’améliorer la qualité. À partir de cette étape, je réétalonne le film pendant une semaine. Je fais des corrections sur l’image du film numérisé pour le rendre plus accessible.
Sur quel modèle vous basez-vous ?
Mon libre arbitre ! Évidemment, je n’ai pas envie de trahir les œuvres originelles. Mais je peux m’affranchir de ce que je vois quand je pense que des choses peuvent être améliorées, arrangées, même si ce n’est pas l’image d’origine. Je peux rajouter une zone d’ombre, renforcer un effet de lampe… Je réinterprète les images que je vois en essayant d’imaginer ce que les directeurs photo de l’époque auraient choisi comme option aujourd’hui, en leur rendant ainsi hommage. C’est ce que j’avais fait sur les Truffaut. C’est ce que j’ai fait sur les Pagnol. Je sais que certaines personnes sont contre cette méthode. Mais je défie quiconque de me dire que j’ai trahi Pagnol ! On a même failli avoir le prix de la meilleure restauration au festival de Bologne. J’ai conduit cette restauration ainsi par admiration pour Pagnol et parce que c’est ce noir et blanc là que j’ai envie de voir aujourd’hui. C’est la même chose que sur The Artist, où tout le monde croit que j’ai conçu une image des années 30 alors que l’image des films des années 30 ne ressemble pas à celle de The Artist. Par contre, je ne joue jamais avec les couleurs sur les films en couleurs. Et je me bats pour que l’on conserve certaines rayures de la pellicule, certaines imperfections.
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