vendredi 19 juillet 2024

Le travail de restauration de Guillaume


Rencontre avec le chef opérateur Guillaume Schiffman autour de la restauration des films de Marcel Pagnol

 Marcel Pagnol

« Marius » d’Alexander Korda, d'après l'œuvre originale de Marcel Pagnol Carlotta Films

Le directeur de la photo oscarisé de The Artist revient sur son travail de restauration sur les films de Marcel Pagnol, qui retrouvent cet été le chemin des salles

Quel était votre rapport, plus jeune, avec l’œuvre de Marcel Pagnol ?

Guillaume Schiffman : Entre Pagnol et moi, c’est une très longue histoire ! Il se trouve que jusqu’à mes 14 ans, au grand désespoir de ma mère qui dévorait un livre par jour, je ne lisais pas. Or nous passions nos vacances dans le sud de la France, sur les coteaux de Vaison-la-Romaine. Un jour, mon père, un vieil anarchiste américain qui détestait la chasse, est parti chasser avec deux amis de ma mère et a ramené deux grives. Et c’est peu après que ma mère m’a suggéré de lire La Gloire de mon père en m’assurant que ça allait me faire rire, en raison de la situation qu’on venait de vivre. Résultat ? Non seulement, je l’ai dévoré, mais, cet été-là, j’ai lu tous les romans et toutes les pièces de Pagnol. C’est lui qui m’a donné le goût de la lecture.

Et quand avez-vous découvert ses films ?

Un peu plus tard. Dès qu’ils passaient au ciné-club, car on ne pouvait pas les voir autrement. Et cela n’a fait que conforter ma passion pour Pagnol. Mais j’ai toujours décliné les propositions de faire un film comme premier assistant-opérateur, car je ne m’en sentais pas capable. Et puis un jour, le directeur de la photo Robert Alazraki m’appelle pour me demander si je souhaitais travailler avec lui sur La Gloire de mon père et Le Château de ma mère d’Yves Robert ! J’ai accepté et ce sont les deux seuls films de toute ma carrière que j’ai faits à ce poste. À l’époque, on filmait les repérages. En arrivant au pied des collines, comme je connaissais par cœur l’œuvre de Pagnol, je savais précisément où se trouvait chaque lieu de l’action. Le tournage a été merveilleux car je m’entendais bien avec Yves Robert, sensible à mon amour de Pagnol.

Comment vous retrouvez-vous à restaurer ses films ?

Tout démarre avec l’exposition consacrée à François Truffaut à la Cinémathèque française. Ses filles m’ont demandé si je voulais bien superviser la restauration du Dernier Métro qui devait être projeté pour l’ouverture. J’ai évidemment accepté et visiblement le résultat a plu. Aussi, quand Nicolas, le petit-fils de Marcel Pagnol, a cherché quelqu’un pour restaurer les films de son grand-père, Benjamin Alimi, du laboratoire Hiventy Classics, a glissé mon nom, en ajoutant que je connaissais bien le noir et blanc, ayant signé la lumière de The Artist. C’est ainsi que tout a commencé. Je n’ai posé qu’une condition : visiter les bureaux de Marcel Pagnol dans la maison de l’avenue Foch qui appartenait encore à la famille. J’ai pu aller dans son bureau, dans sa salle de montage et feuilleter certains de ses brouillons écrits à la main. J’ai même eu la chance d’y croiser Jacqueline Pagnol !

Combien de ses films avez-vous restaurés à ce jour ? Une bonne dizaine.

Concrètement, comment se passe la restauration ?

Le laboratoire commence par choisir les éléments les plus propres, ceux qui ont le mieux résisté au temps. Ils viennent du monde entier. J’ai eu la chance de les voir projetés. Puis ces éléments sont montés en ajoutant de la reconstruction d’image pour tout ce qui est trop abîmé. J’effectue alors une première vérification pour voir s’il est possible d’améliorer la qualité. À partir de cette étape, je réétalonne le film pendant une semaine. Je fais des corrections sur l’image du film numérisé pour le rendre plus accessible.

Sur quel modèle vous basez-vous ?

Mon libre arbitre ! Évidemment, je n’ai pas envie de trahir les œuvres originelles. Mais je peux m’affranchir de ce que je vois quand je pense que des choses peuvent être améliorées, arrangées, même si ce n’est pas l’image d’origine. Je peux rajouter une zone d’ombre, renforcer un effet de lampe… Je réinterprète les images que je vois en essayant d’imaginer ce que les directeurs photo de l’époque auraient choisi comme option aujourd’hui, en leur rendant ainsi hommage. C’est ce que j’avais fait sur les Truffaut. C’est ce que j’ai fait sur les Pagnol. Je sais que certaines personnes sont contre cette méthode. Mais je défie quiconque de me dire que j’ai trahi Pagnol ! On a même failli avoir le prix de la meilleure restauration au festival de Bologne. J’ai conduit cette restauration ainsi par admiration pour Pagnol et parce que c’est ce noir et blanc là que j’ai envie de voir aujourd’hui. C’est la même chose que sur The Artist, où tout le monde croit que j’ai conçu une image des années 30 alors que l’image des films des années 30 ne ressemble pas à celle de The Artist. Par contre, je ne joue jamais avec les couleurs sur les films en couleurs. Et je me bats pour que l’on conserve certaines rayures de la pellicule, certaines imperfections.

Avez-vous une contrainte de temps ?

Quand je me lance dans l’étalonnage, je dois terminer en une semaine, à un ou deux jours près. J’ai par exemple du prendre un peu plus de temps sur la restauration de Salaire de la peur qui s’est avérée très compliquée car les éléments de base étaient détériorés.

Qui valide ?

Nicolas Pagnol. Pour la première restauration d’un des films de son grand-père, c’était émouvant de voir son regard s’illuminer devant cette belle copie même s’il y avait encore des petits défauts dus au matériel existant : c’est pourquoi on a dû aller récupérer des internégatifs d’internégatifs en Argentine. Et même si ça ne fait pas partie stricto sensu de mon travail, quand j’entends des choses au son qui ne me vont pas, je me permets de le dire. J’ai surtout la chance qu’on me fasse confiance. Je ne pensais pas que MK2 me recontacterait après Le Dernier métro car il est plus simple et moins coûteux de faire appel à un étalonneur. Mais la plus-value que j’apporte, c’est un travail en amont avant d’attaquer la restauration à proprement parler. Sur les Pagnol, avec mon assistant, on a retrouvé tous les articles d’époque où le réalisateur et son chef opérateur expliquaient en détail ce qu’ils voulaient faire sur tel ou tel film. Je me base sur ce matériau-là mais aussi sur les bandes-annonces de l’époque. Je réinterprète donc les choses en me fiant à ce que Pagnol aurait voulu faire sans peut-être y parvenir. C’est sur cela que je bâtis mon libre arbitre.

Vous avez un exemple précis en tête ?

Sur la fameuse partie de cartes de la Trilogie marseillaise, j’ai rajouté une zone d’ombre et boosté la lumière du bar pour qu’on voie mieux Raimu. Mais là encore, on ne m’a fait aucun reproche. C’est même en ayant vu le résultat qu’une personne de la Cinémathèque a suggéré mon nom quand elle a appris que Le Salaire de la peur allait être restauré.

Lequel des films de Marcel Pagnol a été le plus compliqué à restaurer ?

Fanny, car le matériel était vraiment très mauvais. On y a passé plus de dix jours. On a dû faire de la « restauration Diamant » [une solution de logiciels complète pour la restauration numérique film et vidéo - ndlr] sur certaines séquences, notamment pour des séquences de nuit particulièrement complexes à restaurer car mises en lumière par un opérateur, Nicolas Toporkoff, qui a voulu faire beaucoup d’effets.

C’est un exercice qui vous plaît particulièrement ?

Ah oui, j’adore ça ! Et je trouve toujours du temps pour le faire. Ça m’apprend énormément sur mon métier, car, à chaque scène, je suis obligé de tout décortiquer pour essayer de comprendre comment elle a été éclairée. Dans le cas des Pagnol, Marius, César, La Fille du puisatier, La Femme du boulanger sont particulièrement magnifiques à l’image. En travaillant sur leur restauration, j’apprends la manière dont leurs directeurs de la photo ont joué avec les contrastes, mais aussi sur des innovations, des choses inédites pour l’époque comme ces plans sans aucune profondeur de champ de La Fille du puisatier. Il ne faut jamais oublier que le néoréalisme italien a été inspiré par les films de Pagnol, et la Trilogie marseillaise en particulier. Pagnol est le premier metteur en scène qui a décidé de sortir des studios pour aller filmer la réalité avec une équipe légère. La restauration est devenue ma passion. Je me dis que le jour où je ne tournerai plus de film, je continuerai à en faire.

Quels sont les prochains films que vous devriez restaurer ?

Il semblerait, d’après Laura Truffaut, que les droits détenus par United Artists sur les films de son père sont tombés. Je vais peut-être avoir la chance, si MK2 les récupère, de travailler sur La Sirène du Mississipi et L’Argent de poche.

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