dimanche 25 février 2024

Critiques des films d'Emmanuelle

 – Spéciale Emmanuelle Bercot…. dans Les Toiles Héroïques 

Une autrice qui va s’intéresser particulièrement au malaise créé chez ses protagonistes, et chez les spectateurs (pour mieux les faire s’interroger) en étirant les scènes, en les faisant durer ou recommencer jusqu’à l’épuisement.
Et elle s’intéresse un peu au portrait de personnages assez « monstrueux », constamment sur la défensive, incapables d’évoluer en ligne droite…
Tout ça en étant à l’aise dans n’importe quel style de réalisation, ce qui est assez remarquable.

– « Les Vacances »…1997

Court métrage à la Fémis, course à l’argent pour se sortir d’un petit bled, juste pour quelques semaines. Aussi une façon de parler de précarité, et la rencontre avec son premier « double », Isild Le Besco.


– « La Puce »…1998

Court métrage encore, Isild aussi, pour une histoire de découverte du plaisir, en huis clos pendant une bonne partie de ces 42 minutes.
Pas de jugement porté sur les personnages, alors qu’un jeu de séduction s’opère face, contre et avec un aventurier de passage (étonnant Olivier Marchal). Et qu’on laisse planer une bonne part d’ambiguïté quant au consentement.
L’image n’est pas très belle, le générique de fin est déplacé au début par coquetterie, et le sujet peut apparaître comme difficile à regarder eu égard à l’âge de l’actrice… un film (1998) qu’on pourrait ne plus faire des années après. À moins d’avoir en parallèle un making-of solide, capable de rassurer les gens…
Sauf que quand on le regarde, toute la technique est à l’écran, tous les artifices, tous les mouvements chorégraphiés pour préserver l’intimité sont bien là. Donc on voit sans voire, et on reste stupéfié.



– « Clément »…2001

Première long-métrage, un peu dans la continuité du précédent car avec également une relation sexuelle interdite. Il y a juste une inversion des sexes entre la personne mineure (bien plus jeune d’ailleurs) et l’adulte… que Bercot incarne elle-même, assumant la part ultra casse gueule du rôle : une femme libre mais clairement immature, suivant ses désirs jusqu’à la folie.
Sauf quon n’est pas dans « Mourir d’aimer », ici il n’y a aucun contexte politique, aucune intervention judiciaire (cette relation restera grandement cachée, y compris par les quelques qui la découvriront, aucun scandale publique)… et un personnage qui a bel et bien une apparence juvénile, pas du tout celle d’un jeune adulte.
La « monstruosité » se trouve là, entre un pré-ado d’allure fragile, mais aussi cruel et manipulateur – il faudra toujours rappeler qu’on est plus intelligent et libidineux qu’on ne le croit, à cet âge là… Et une femme qui s’obstine (personnage typiquement Bercotien, y compris dans ses rôles chez les autres), même quand elle sait qu’elle va droit dans le mur. Sans qu’il n’y ait de jugement à leur encontre.
Un peu trop long, tournage en numérique pas très beau, pas toujours très lisible, surtout les scènes nocturnes – dans ces moments clairs et obscurs qui s’alternent, les instants les plus crus n’y sont pas toujours voilés.
Même la chorégraphie des scènes intimes atteint un niveau extrême, de sorte que personne ne pourrait réitérer l’exploit.


– « Backstage »…2005

Isild Le Besco face à Emmanuelle Seigner dans un duo vampirique, partant d’une émission de style « Star à domicile »… dont la mécanique déraille juste en laissant durer le moment trop longtemps, jusqu’au fameux malaise. Et ça devient finalement l’équivalent d’une violation de domicile (et d’intimité), qui sera vite renvoyé à la figure des envahisseurs.
La fan envoûtée, qui n’arrive pas à « redescendre » pendant la première demi-heure, devient une intruse gênante dont on ne peut se débarrasser, et la chanteuse célèbre (sorte de Mylène Farmer light) est évidemment une paumée capricieuse, toutes les deux imperméables au moindre jugement.
Tout en huis clos (d’ailleurs quand on s’en éloigne, le film devient plus faible), encore trop long et visuellement pas du tout attirant, mais avec une galerie de personnages secondaires solides dont Noémie Lvovsky ou Jean-Paul Walle Wa Wana, et un Valéry Zeitoun se pastichant lui-même en producteur cynique…
Tout s’entremêle, les identités, les corps, même les apparences comptent – au début on a presque des costumes lorgnant sur des super héros et vilains.
Malgré un sujet typique du Thriller, on reste dans la comédie dramatique, assez optimiste en fin de compte : du mal sera fait, mais des liens forts y seront établis à jamais.



– « Les Infidèles, segment La Question »2012

Ses films se font enfin visuellement plus beaux, et cette participation à ce film à sketches bien souvent burlesque, apporte une touche de franc-parler plus subtil, plus incisif – encore un huis clos, en bonne partie.
Accessoirement, c’est comme une sorte de Final alternatif de « Un gars, une fille ».



– « Elle s’en va »…2013

Emmanuelle Bercot fantasmait un road-movie (moins de huis clos à partir de là). Et avec Catherine Deneuve, dans lequel on la verrait bien plus mobile que dans la plupart de ses derniers films.
Elle n’y va pas de main morte, en envoyant paître tout ce qui la gonfle et en bombant en voiture, vers on ne sait où.
C’est la partie la plus intéressante du film, ce début où elle ne fait que suivre une impulsion, avec l’excuse de la cigarette à choper… Quitte à se faire choper elle-même grâce à diverses rencontres amusantes – et pour les vêtements ce sera quoi ? du léopard, bon ben on va partir sur du léopard alors, pourquoi changer ?
Car évidemment, un film de Deneuve, depuis quelques années, c’est aussi un film Sur Deneuve. Un monstre sacrée cette fois, toujours très rigolote.
Puis elle récolte une mission impromptue (« puisque tu es sur la route, récupère le petit »), qui servira de prétexte à commenter métaphoriquement sa carrière, sa vie.
Et à réunir des familles, des filles ingrates, de manière un peu trop enfantine – la partie la plus faible du film.
Sympa quand-même.


– « La Tête haute »…2015

Venant d’un milieu proche du Social (son oncle), Emmanuelle Bercot a mis des années à recueillir docus, immersions et témoignages pour parler ici du parcours d’un enfant difficile, appuyé par divers organismes. Ainsi que par une juge (Catherine Deneuve, à nouveau statique mais impressionnante) et un éducateur passé jadis par les mêmes ennuis (Benoît Magimel, sobre et fraternel), qui partagent tous deux une histoire commune dont on saura rien, mais où on comprendra tout.
Quant au jeune Rod Paradot, pour son premier rôle au cinéma il finit par ne pas suivre les conventions du genre… c’est à dire jouer quelqu’un proche de sa personnalité, puisqu’il n’est pas un comédien professionnel. Sauf que la violence impulsive et pénible du personnage de Malony, elle n’a rien à voir avec lui, c’est un rôle de composition en fin de compte… Ardu pour un débutant !
Y compris pour les spectateurs, devant assister au parcours d’un héros qui résiste encore et encore à toute évolution, comme si c’était une mauvaise graine irrécupérable, héritant de l’instabilité de sa propre mère (Sara Forestier, semblant sortir d’un film social anglais)…
Puis à divers moments, on entend un célèbre air de Schubert, rythmant l’évolution du héros… Et là on peut se demander : et si ce personnage était un Barry Lyndon à l’envers ? Au lieu du parcours au long cours d’un jeune homme robuste, qui va contenir sa brutalité, triompher de tout et gravir les échelons du pouvoir, pour tout perdre à la fin, trahi par sa paternité… on aura le parcours resserré d’un jeune homme assez fragile, qui ne va jamais réussir à contenir sa sauvagerie, toujours échouer et toucher le fond, pour être sauvé par sa paternité à la fin.
Comme quoi, devenir un homme bien, c’est plus avantageux que devenir un homme de pouvoir.


– « La Fille de Brest »…2016

Venant aussi d’un milieu médical (son père), Emmanuelle Bercot se met au film-enquête à partir d’une histoire vraie, genre très prisé même en France – en l’occurrence l’affaire du Mediator.
Ne changeant aucun nom, mais injectant une jolie part de fiction en engageant Sidse Babett Knudsen pour jouer le docteur Irène Frachon. Encore un « monstre », énergique, casse bonbons, loufoque malgré elle, obsessionnelle, l’actrice danoise lui apportant une part de douceur espiègle – la vraie pneumologue est bien plus gueularde, mais ça n’est pas non plus Erin Borockovich…
Lui apportant aussi un côté étranger, la mettant possiblement en porte à faux avec ses propres alliés, dont un Benoît Magimel plus fragile et envieux. Déjà que les grands labos se foutent de leur gueule parce-que ce sont des petits scientifiques de Brest… parce-que c’est aussi un film de lutte des classes.
Et beaucoup d’autres choses. Trop ?
Il y a du Polar avec des autopsies bien dures, de la comédie décalée, du Film Noir à la Raymond Chandler (à force de rebondissements bizarres, c’est difficile de résumer le scénario)… comme toujours Bercot essaye tout, va jusqu’à l’épuisement, et c’est aussi le rôle du spectateur de tenir bon jusqu’au bout.
Par contre le côté à la Michael Mann (celui de « Révélations ») est brillamment fait : format Scope, tons bleu métal, apartés maritimes, super rythmé avec des surimpressions, de la musique souvent intradiégétique… Un autre style, qu’elle arrive bien à maîtriser, incroyable !
Et comme chez Mann, on aura deux protagonistes bataillant contre des moulins à vent, subissant menaces et paranoïa, devant passer par l’exposition médiatique… Et par le sacrifice, surtout pour l’un d’entre eux.




– « De son vivant »…2021

Emmanuelle Bercot reste dans le milieu médical et retrouve deux de ses acteurs favoris, pour un type de sujet qui a sa faveur – donc un sujet qui peut susciter le malaise chez les spectateurs.
Ici un mélodrame sur la fin de vie d’une personne irrémédiablement condamnée, et qu’on va suivre peu à peu alors qu’il va être dévoré par la maladie.
Le genre de film qui mène à la fois à la transformation (monstrueuse, eh oui) et à l’effacement, sans qu’on sache s’il y aura une transcendance agréable à la fin – nulle trace de religion ici, pas grand chose pour se rassurer… Et pas grand chose pour se donner bonne conscience ?
C’est aussi de ça qu’il s’agit alors qu’on ne sait si ce qu’on va laisser derrière soi est suffisamment consistant, ou même « propre ». Est-ce qu’on doit mettre ses affaires en ordre en acceptant l’inéluctable ? Ou bien à quoi bon !, laissons faire la dissolution ?
Dur, dur, dur… Insoutenable à voir puisque tout ce qu’on a à faire, c’est attendre que ça passe, accompagné de souffrances pénibles. Tandis que, de leur côté, les soignants menés par un vrai oncologue (sorte de père spirituel absolu), cherchent des moyens pour mentalement gérer ce travail difficile. Entourée de beaucoup de non professionnels, Cécile de France y joue un personnage secret, passant de témoin à actif.
Pendant que les quelques proches du malade sont soit dans l’intimité éplorée – Catherine Deneuve à fleur de peau, héritant de scènes proches du mystique (le moment où elle soulève son fils après avoir vu un nouveau né bercé, stupéfaction qui mélange la frayeur avec la beauté)…
Ou bien ces personnes proches sont dans la distance – que des jeunes, dont un fils illégitime qui représente une sorte d’enjeu final.
Bien sûr il y a la performance de Benoît Magimel, statique et doloriste, d’autant plus que ça l’a suivi plus longtemps que nécessaire à cause de gros arrêts de tournage. Et qui y joue également une sorte de version alternative de lui-même, un acteur qui n’aurait jamais réussi à se transcender pour réussir à marquer le monde entier – ce que ce film infirme totalement en ce qui concerne le vrai Magimel (et c’est pas la première fois).
Ça fait du bien quand ça s’arrête. Et ça fait du bien quand on n’est pas seul.

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