dimanche 15 octobre 2023

Un Régis de moins


 "Une vie à retourner à l’école chaque jour, à enseigner, à tenter de se faire respecter.

Une vie à corriger des copies le soir, le week-end, à annoter à l’encre rouge ou bleue turquoise « Peut mieux faire …», à encourager « Des nets progrès, continuez ! », à déceler les potentiels timides « Prenez confiance ! » avec des points d’exclamation pour donner un peu de poids à ses mots.
Une vie passée à lire encore et toujours, à chercher des nouvelles façons de les intéresser.
À allumer la lumière dans les yeux éteints, à lutter contre les écrans qui les happent, contre les réseaux qui schématisent.
Leur apprendre à penser par eux-mêmes, les encourager à poser leurs questions maladroites, ne jamais se moquer.
Une vie à les regarder s’endormir en cours et à tenter de les réveiller.
Espérer arriver à les éveiller.
Une vie à répéter des consignes, à organiser des réunions parents-profs, à convoquer les élèves qui perdent pied, à recevoir des parents jamais contents.
Une vie à subir les changements de ministres, de programmes, de consignes et de directeurs, à s’adapter en râlant juste un peu.
Une vie à être découragé souvent, agréablement surpris parfois. La sensation de répéter toujours la même chose. Se demander parfois pourquoi.
Une vie à tenter garder l’enthousiasme, à tout faire pour ne pas devenir un prof aigri et blasé. Continuer d’y croire. Prendre du plaisir à transmettre.
Une vie à écouter des exposés maladroits anônés par des voix qui muent, à supporter les « euh, donc, voilà », à répéter « pas de portable en cours ».
Une vie à donner des petits cours pour arrondir les fins de mois, dire « avec mon petit salaire de prof, je ne peux pas me le permettre ».
Une vie à calculer chaque dépense mais se donner sans compter.
Expliquer, répéter, écouter, parler, lire, écrire, être fatigué.
La fête de fin d’année. Tant de fêtes de fins d’années, tous ces élèves croisés, tous ces collègues enseignants.
Le café qu’on partage à la va-vite pour se donner du courage avant d’aller les affronter.
Des remerciements parfois des années plus tard quand on croise un ancien élève au marché, « Vous avez été important pour moi, Monsieur vous savez », quelques mots murmurés comme dans un souffle, et l’homme qui s’éloigne, un peu gêné, avec sa femme et la poussette du petit.
Les petits mots à la fin de l’année griffonnés sur un bout de papier qu’ils ont écrit à plusieurs, le cadeau collectif, un livre qu’on a déjà lu, souvent.
Une vie à remercier, à se dire que tout cela n’est pas vain. Que ça valait le coup de se fatiguer comme ça.
J'ai juste envie de pleurer quand je regarde la photo de ce professeur.
Au-revoir Monsieur Dominique Bernard."
Merci Anne Roumanoff !

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