lundi 15 janvier 2024

Nouvelles d'Emmanuelle

 

La rencontre d'après minuit avec Emmanuelle Bercot : "Les acteurs sont traités comme des petites merveilles"

 
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Emmanuelle Bercot
Actrice consacrée, réalisatrice à succès, elle dégage un puissant mélange de maîtrise de soi et de haute inflammabilité. Étonnamment ou pas, c’est à un poste clé, celui d’une directrice de production plongée dans un tournage chaotique, qu’on la retrouve dans le nouveau film de Cédric Kahn "Making Of". L’ego au fond des poches, celle qui ne dort presque pas nous parle de son rapport à la nuit, ce moment où "on lâche un peu les armes", et à ce qui la peuple.

Elle déboule en bâillant à 23 heures tapantes dans l’arrière-salle du café du Théâtre, place Charles-Dullin, au cœur de Montmartre, en noir et en baskets, sans afféterie, élégante. Menue et pas très grande, elle en impose en toute discrétion.

Emmanuelle Bercot est une actrice aussi secrète qu’incontournable, un mélange de stabilité calée au carré et de sensibilité à fleur de peau. Récemment au cinéma en Lucie Coutaz, compagne de route de l’abbé Pierre dans le film éponyme de Frédéric Tellier, et au théâtre de la Ville dans Après la répétition/Persona d’Ingmar Bergman mis en scène par Ivo van Hove, elle sera à l’affiche de Making Of, le nouveau film de Cédric Kahn.


"MAKING OF", LE CINÉMA EN PANIQUE

Le pitch : un tournage de film choral part en sucette. Un film de cinéma sur le cinéma, drôle et émouvant. Dans ce désastre en train d’advenir, Emmanuelle Bercot joue le rôle de la directrice de production sur le tournage. Un poste clé, ingrat, qui fait tampon avec la production, qui veille au respect des plannings et des budgets, qui fait la police en somme. Réalisatrice d’une dizaine de films (Clément, Elle s’en va, La Tête haute, De son vivant...), elle a connu des tournages apocalyptiques. "Des moments où tout explose, il n’y a plus l’argent, on tourne plus que prévu, je ne parle plus au producteur ni au directeur de production, ni à plein d’autres gens."

Comment terminer le film dans un cas pareil ? "En étant une furie. Dans un tel état de crise, on peut s’en sortir si on est une sorte de famille. Il n’est plus question d’argent mais d’aider quelqu’un à finir son film. J’ai eu la chance d’avoir mes équipes derrière moi contre la production. Faire un film, c’est comme faire une guerre, quoique maintenant, ce mot paraît déplacé."

INSOMNIAQUE DEPUIS 6 ANS

Et l'ego des acteur·rices ? "Les acteurs sont traités comme des petites merveilles, des choses fragiles, je n’ai jamais compris ça. Des batailles qui durent des mois sur qui a son nom en premier sur l’affiche, qui a la plus grosse caravane, c’est pathétique. Quel manque de confiance !" En l’écoutant, on voit ce qui la distingue de beaucoup : elle ne joue pas à l’actrice, ne minaude pas. À la place, elle mâche des Nicorette et bâille en continu. Pas d’ennui, rassure-t-elle. Elle dort à peine trois heures par nuit.

Mes parents ne savaient rien sur moi.*   

"L’insomnie, c’est venu d’un coup, il y a six ans. Un supplice. Vous savez que la privation de sommeil est une torture. À un moment, on implose. À tel point que je note sur mon agenda quelles sont les nuits où je fais une nuit complète... En quatre ans, j’ai deux notes dans mon agenda." 

Malgré cela, elle préfère la nuit au jour. "L’heure de l’apéro, vers 18-19 heures, est totalement sacrée et incontournable dans ma vie. Les repas aussi. Celui du soir est le meilleur, je mets la table, j’allume les bougies. Manger un bout de fromage devant la porte du frigo, c’est impossible."

Elle reconnaît parler peu, ne jamais se confier, ne pas être très sociable. "Mes parents ne savaient rien sur moi, mes amis très peu, ça ne m’empêche pas d’avoir plein d’amis." L’ivresse remplit son office de fluidifiant social. "Un ou deux verres ouvrent les portes, c’est parfait. Les contours se floutent, on sort de son carcan. Mais je ne perds ni le contrôle ni ma dignité."

Elle observe désormais un mois sans boire, en janvier. "Pour vérifier que je maîtrise, et pour le défi. À ma grande surprise, j’ai passé des soirées fabuleuses. Ça m’a un peu perturbée." On lui parle des Récits de la soif (Éd. Pauvert) de Leslie Jamison, très beau livre sur l’addiction et la littérature, dans la lignée d’une Joan Didion ou d’une Susan Sontag. Elle note la référence.

Et ne savent toujours rien apparemment puisque c'est par les journaux que j'apprends ces insomnies torturantes ...

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