Je terminais le blog de ce soir sur ce thème, quand je tombe sur cet article avant de m'endormir :
Emmanuelle Bercot : «Je ne sais pas vivre dans l'instant présent, or c'est le secret du bonheur»
Paola Genone
Compagne de route de l'abbé Pierre dans un biopic, héroïne bergmanienne au théâtre, l'actrice est sur tous les fronts.
Pieds nus, smoking noir, le visage en plein soleil au dernier étage d'une terrasse parisienne, son expression renvoie quelque chose de sauvage. Dans la vie comme au cinéma, Emmanuelle Bercot ne louvoie pas. Au fil de sa carrière d'actrice et de réalisatrice, elle a toujours su imposer ses critères d'exigence et sa quête de profondeur, avec calme mais détermination. «C'est une immense actrice, une funambule du jeu», confie Frédéric Tellier, assis à ses côtés. Après l'avoir filmée dans Goliath (où elle jouait une activiste luttant contre l'usage des pesticides et les mensonges des lobbies), le réalisateur français lui offre un nouveau rôle puissant dans son long-métrage L'Abbé Pierre. Une vie de combats. Dans ce biopic, Emmanuelle Bercot est Lucie Coutaz, l'alter ego de l'abbé Pierre : une femme exceptionnelle qui jusqu'ici n'avait pas reçu la lumière qu'elle méritait. Cheveux blancs et lunettes austères, l'actrice incarne à bras-le-corps cette héroïne de la Résistance, décorée de la croix de guerre et militante sans laquelle l'abbé Pierre n'aurait pas pu mener son combat.
Réalisatrice de films engagés sur la justice, l'adolescence (La Tête haute, avec Catherine Deneuve) et l'existence (De son vivant, avec Benoît Magimel), Emmanuelle Bercot n'a jamais peur de déranger. La comédienne, prix d'interprétation à Cannes pour Mon roi, de Maïwenn, nommée cinq fois aux Césars, affirme n'être «qu'un instrument au service du réalisateur». Pourtant, elle se plaît à jouer des rôles de femmes qui se battent en pensant qu'une autre voie est possible.
Par ailleurs, on la retrouve sur les planches du Théâtre de la Ville, à Paris, dans un diptyque cinématographique d'Ingmar Bergman, adapté par le metteur en scène Ivo van Hove. Dans Après la répétition/Persona, spectacle à deux volets, l'actrice incarne les deux faces d'une même figure : celle, déchirante, d'une comédienne vieillissante, incapable de trouver sa place dans le monde du spectacle qui l'a rongée jusqu'à l'os avant de l'abandonner, seule, sur le rivage. Frontale, extrême, Emmanuelle Bercot impressionne par son intensité et son engagement total dans ce rôle d'héroïne bergmanienne. «Une actrice doit ôter le masque de la vie et ne pas en remettre un autre», dit-elle en perçant, peut-être, le mystère Emmanuelle Bercot.
Madame Figaro. – Dans le film de Frédéric Tellier, vous incarnez Lucie Coutaz, une femme qui a voué sa vie au combat de l'Abbé Pierre. En quoi vous plaÎt-elle ?
Emmanuelle Bercot. – C'est une héroïne de contrastes. Ceux qui l'ont connue la décrivent comme une femme de tempérament. On dit que l'abbé Pierre rasait les murs quand elle était contrariée. Elle était surnommée «la tour de contrôle», «Lulu la terreur», «Lucie le dragon». Mais quand on regarde les rares photos qui existent d'elle, toutes restituent l'image d'une femme pleine de douceur. Presque effacée. Il ne faut pas oublier que c'est une miraculée, consciente du hasard de sa présence sur terre. Plus j'entrais dans son personnage, plus je lui trouvais de facettes. Lucie Coutaz était une syndicaliste et une militante engagée dans la Résistance, prête à risquer sa vie pour sauver des hommes. C'était une combattante qui possédait les traits de caractère d'un leader. C'est elle qui a cofondé Emmaüs. Elle aurait pu être en tête du cortège, mais elle a décidé de rester quelques pas derrière l'abbé Pierre pour servir sa quête. Je suis heureuse que ce film révèle enfin au grand jour cette femme extraordinaire.
L'actrice que vous êtes révèle, elle aussi, une facette inédite de sa palette de jeu. Vous dégagez une tendresse infinie dans la peau de Lucie Coutaz, comme si vous effaciez vos propres aspérités…``
C'est vrai qu'on ne me demande presque jamais d'incarner la douceur, et j'étais heureuse d'ajouter cette corde à mon arc. J'ai pris du plaisir à faire émerger de moi la tendresse. D'habitude, je joue des personnages plus durs. J'ai surtout aimé jouer la richesse de traits de Lucie Coutaz : elle est douce mais rigide, coquette mais austère, rigolote mais disciplinée. C'est intéressant que ce soit un homme (Frédéric Tellier) qui fasse émerger toute la complexité de cette femme très moderne, car plurielle, à cette époque où l'on remet enfin en perspective l'importance des femmes dans l'Histoire. En s'attaquant au biopic sur l'abbé Pierre, il s'est aperçu qu'il s'agissait de l'histoire d'un couple (platonique), dont la face féminine n'avait jamais été mise en valeur jusqu'ici.
On découvre aussi le côté vedette de l'abbé Pierre, presque une rock star. L'admiriez-vous dans votre enfance ?
Je l'adorais. C'était une figure publique, l'homme préféré des Français. J'ai été élevée dans des établissements religieux et j'ai côtoyé des prêtres et des bonnes sœurs toute mon enfance. Je les ai toujours vus comme des personnes qui ne sortaient jamais du cadre. Mais le premier terme qui me vient pour qualifier l'abbé Pierre, c'est «punk». Il représentait une figure transgressive, un vecteur de liberté de l'expression. Il s'emportait, criait ses vérités et disait même parfois des gros mots. Il avait un ego affirmé. Il était conscient de son charisme et de son pouvoir de séduction. Dans le film, on le voit entouré de fans hystériques qui lui arrachent les vêtements. Les femmes l'embrassent de force. Mais s'il surfe sur le jeu médiatique, il en subit la pression, au point de devenir dépendant des amphétamines. De plus, il était sensible au charme des femmes, par lesquelles il était très sollicité. Cela a dû être une guerre pour lui de ne pas céder à la chair. À ses côtés, Lucie Coutaz tenait presque un rôle d'agent de star. Il disait qu'elle «chassait les mouches», qu'elle était «la gardienne» de sa vert
Oui ! Depuis toujours, je suis obsédée par la mort. Je me souviens de mon père rentrant à la maison, annonçant qu'un patient avait perdu la vie aux urgences. Jusqu'à 16 ans, j'ai voulu être chirurgienne. J'étais également obsédée par la question des inégalités sociales. Je me sentais privilégiée et je vivais très mal ma chance. La pauvreté me sautait aux yeux quand je marchais dans la rue. Très tôt, j'ai été une enfant politisée, à contresens du milieu social dans lequel je vivais. Ces questions me tourmentent et m'agitent toujours. Mon métier de cinéaste est une façon d'y répondre. Mon premier court-métrage parlait de disparités sociales, de la misère, de l'injustice. Je suis revenue sans cesse à ces thèmes, qui sont finalement les seuls qui m'intéressent.
Pour le personnage de Lucie Coutaz, vous avez accepté de vous vieillir à l'écran. Qu'est- ce que cela fait d'incarner une femme plus âgée que soi ?
Quand j'étais petite, je prenais un plaisir fou à me déguiser, et j'éprouve encore la même jubilation enfantine lorsque je me métamorphose pour incarner un personnage comme celui de Lucie Coutaz. Son look est amusant : tout en portant des vêtements austères, elle arbore une coiffure échevelée totalement improbable, à la Nina Hagen ! J'ai adoré incarner cette femme qui se moque du jeu de la séduction. Elle m'a permis de lâcher prise, de me dépouiller des soucis esthétiques auxquels une femme est sans cesse confrontée. Je n'ai jamais aimé jouer les scènes où la femme est l'objet du désir de l'homme. Le besoin de séduire est un poison violent. On vit beaucoup mieux quand on s'en débarrasse.
Trouvez-vous que la société et le cinéma évoluent dans leur façon de représenter les femmes de plus de 50 ans ?
L'équation qui faisait qu'une actrice de plus de 50 ans était au chômage a été corrigée. Je n'arrête pas de travailler, comme beaucoup de mes consœurs. Il y a de plus en plus de films et de pièces de théâtre centrés sur des personnages féminins de plus de 50 ans. Petit à petit, le regard s'éduque et je pense qu'au cinéma comme dans la rue, on verra aussi de moins en moins d'hommes de 60 ans avec des filles de 20 ans. Il faut que les hommes acceptent d'être avec des femmes de leur âge. Le cinéma est en train de déconstruire ces conventions car il est obligé d'avancer au même rythme que la société. Il y aura toujours des réfractaires et des passéistes, mais ils seront terriblement démodés
Quel féminisme défendez-vous ?
Je suis pour une société qui considère la femme à l'égal de l'homme sur tous les plans. Je milite pour un féminisme qui ne passe pas par le rejet de la figure masculine. Je n'aime pas qu'on catalogue les gens par leur genre. Tant que le féminisme se fera avec l'inclusion de l'homme, je serai là pour le soutenir, car j'aime et j'admire profondément les femmes.
Comment décririez-vous les deux personnages féminins d'Ingmar Bergman que vous incarnez au théâtre, dans Après la répétition/Persona ? Quelle passerelle unit ces deux pièces, au point qu'on a l'impression de voir une seule femme sur scène ?
Il faut rendre hommage au metteur en scène, Ivo van Hove, qui a eu l'idée brillante de tisser un pont entre les deux personnages. Ces deux pièces, adaptées de deux films de Bergman, n'ont rien à voir stylistiquement. Pourtant, on y trouve des jeux de miroirs perpétuels. Dans la première, centrée sur la confrontation d'une femme à l'âge, je joue une actrice vieillissante à laquelle on n'offre plus de rôles. Elle vit très mal le fait d'avoir perdu sa superbe ; dépressive, elle boit. Elle espère en vain renouer avec un metteur en scène dont elle a été la maîtresse, et obtenir un grand rôle. Dans la seconde, Persona, je joue une actrice qui, en pleine représentation, perd l'usage de la parole et est internée à l'hôpital psychiatrique. Pour guérir, elle doit remonter à son traumatisme enfoui.
Comment êtes-vous parvenue à jouer ce rôle muet, alors que le «mot» est à la source de votre métier ?
Je parle très peu dans la vie, ce qu'on me reproche souvent. Je préfère écouter. Pour Persona, je n'ai eu qu'à entrer en moi, comme ce personnage muré dans son monde intérieur. C'est donc le corps, dans ses postures presque archaïques, qui s'exprime sur scène. J'ai fait des années de danse classique et contemporaine (à l'école de Cunningham, NDLR) et j'ai gardé une conscience du corps qui m'a beaucoup aidée pour ce personnage. Ivo van Hove m'avait présenté mon rôle comme un travail de chorégraphie (une «art performance»), et sa mise en scène, onirique, évoque celle des spectacles de danse contemporaine. J'ai déjà joué Bergman au théâtre, dans Face à face. C'est un exercice presque métaphysique qui demande de se plonger dans les méandres de la psyché humaine et, dans ce cas, de l'âme féminine. C'est un saut dans le vide chaque soir.
Comment parvenez-vous à rester autant dans l'instant présent ?
Je suis pourtant quelqu'un qui ne sait pas vivre dans l'instant présent, or c'est le secret du bonheur. Je vis dans le passé et le futur, par anticipation. C'est aussi pourquoi je me sens si bien au théâtre. La scène est le seul moment où je suis soudée à l'instant présent. Cela me rend heureuse. Il y a une phrase dans la pièce d'après Bergman qui dit : «Je t'ai regardé dans les yeux et même bien plus loin.» C'est ce que j'essaie de faire en étant présente.
L'Abbé Pierre-Une vie de combats, de Frédéric Tellier, en salles actuellement. Après la répétition/Persona, au Théâtre de la Ville, à Paris, jusqu'au 24 novembre
Que ce soit le secret du bonheur: je le confirme . Elle en fait en ce moment quotidiennement l'expérience et je m'en réjouis pour elle. Quand on fait plusieurs fois de suite le même chemin , il est de plus en plus facile de le retrouver et de l'emprunter automatiquement.
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